Haniwa,
08/27/53, 8:00 a.m., heure de Genéve.
Première
nuit à bord. Pour fêter ça j'ai relu toutes les entrées de mon
patch dans le dossier ISS.H.
Quelques
semaines seulement me séparent de celui qui dictait sa lettre de
motivation au côté de son amant endormi. Je ne me reconnais plus.
J'ai été tenté de tout supprimer, pour finir par tout garder, bien
sûr. Je me demande combien d'entre nous se sont lancés de ce style
de... quoi ? Journal ? Documentaire ? Témoignage ?
Qu'importe ; rédiger me recentre, m'ancre au sol de ce vaisseau
pour oublier qu'il n'y aura plus jamais de sol sous mes pieds.
Le
moment de l'arrivée ne m'a laissé qu'une question : est-ce
qu'on a vu finalement ce p... de commandant ? Si oui, où
étais-je ? Ou peut être, dans quel état errais-je ? Tout
s'est brouillé progressivement, je me rappelle m'être senti piégé
mais tranquille, je me souviens d'une remarque de Sophie sur l'odeur
d'agrumes légère mais tenace, puis je me suis retrouvé à la porte
d'une cabine, gentiment dirigé par un bracelet ID tout neuf.
La
cabine ressemblait à une piaule d'autô-tel moyenne gamme, avec
meubles-racines en attente de forme, distributeur modulable,
possibilité de coin repas et/ou salon, douche sonique, et un
splendide terminal polyfactoriel en réseau. J'ai configuré un lit
deux places-draps-coton-couette-vintage et suis tombé dedans tout
habillé.
Au
matin (quel matin ?), le terminal m'a reveillé avec l'odeur
"café-pain frais" et mon morceau préféré des Sex-teens.
"Bonjour
Ylan, tu as bien dormi ?" J'ai sauté du lit en claquant
des mains : "Mode machine vocal-personnalisé annulé
jusqu'à nouvel ordre. Mode texte demandé", ai-je gueulé aux
murs. Je déteste que les machines s'adressent à moi comme un vieux
pote un peu collant, attentionné et intrusif, merde !
Le
mur au dessus du terminal a scintillé : "Vous êtes prié
de bien vouloir répondre au questionnaire suivant" en lettres
indigo. Bien. Manifestement l'I.A. avait pigé ma résistance organique
à la familiarité inter-espèces.
Quand
au questionnaire... si j'y répondais, est-ce-que ma nouvelle amie
virtuelle, l'I.A. "Vexée-du-Vaisseau", accepterait de
répondre à quelques questions aussi ? Des questions du style :
"Comment avez vous calculé les doses de tranquillisant à
diffuser pour tout le groupe dans un espace ouvert ?" Ou
plus court : "Y-a-t-il un humain aux commandes ?"
J'ai
fait défiler le questionnaire, passant de perplexe à hilare
au fur et à mesure que s'inscrivaient des items qui n'auraient pas
choqué dans un formulaire d'inscription des siècles passés :
"Professions des parents", "Dernier établissement de
socialisation et d'apprentissage fréquenté", "Hobbies"...
Je
me suis lancé sans plus réfléchir, excité malgré moi par ce que
je pensais être la blague d'une I.A. revancharde : le Réseau
du Haniwa savait déjà tout de moi, peut-être même plus que
je n'en savais moi-même ; toutes les réponses à ces questions
et à bien d'autres encore. Répondre n'importe quoi,
comme :"Taxidermistes", "Sainte-Oie-des-Bois"
ou "Masturbation compulsive", m'a procuré quelques minutes
assez plaisantes de ricanement pré-pubère jusqu'à ce que le
terminal me remercie et passe à la section "Bienvenue sur le
Reseau Interne du Haniwa" en affichant un écran
d'accueil intitulé "H2O, votre nouveau réseau"...
J'ai préféré ne pas me mettre à gamberger sur le nom (choisi par
l'I.A. toute seule? Et H2... y avait-il un H1 ?)
et commandai l'affichage des Contacts. Je vis que les passagers
commençaient à s'inscrire et repérai ma déjà vieille amie Sophie
avec sa Spécialité : "Patachouneuse expéri-mentale".
J'éclatai de rire en l'imaginant en train de ricaner tout comme moi
devant un terminal.
J'ai
demandé, pour me ressaisir, le listing des spécialistes bio-teks,
que j'ai exploré jusqu'à une Alice Turmann, qui ne pouvait être
que la brillante post-doc du M.I.T. dont j'avais fait lire le dernier
article à mes étudiants, l'an passé. Et, enfin une bonne nouvelle,
elle était attachée à "mon" labo.
Je
me suis inscrit à mon tour, puis je suis passé à la section
suivante. Là, je sombrai de nouveau dans l'aléatoire ; en
lettres capitales rouge carmin s'affichait la phrase suivante :
"Quel modèle d'organisation sociétale souhaiteriez-vous voir
instaurée à bord du vaisseau Génération Haniwa ?"
Quoi ?
Comment ça, "souhaiteriez vous" ? Qui ça ?
Moi ?
Je
me suis senti comme un patriarche orthodoxe dans un défilé LGBT.
Pas à ma place. Mon seul engagement politique avait été un bref
passage dans une désorganisation anar-éco-pacifiste. Je savais
diriger un labo, et plutôt bien, mais de là à avoir une quelconque
opinion sur la façon d'organiser une société de quelque dix mille
quidams... Je décidai de prendre un avis éclairé sur la (les)
question(s) : J'allais contacter Sophie quand son message
entrant vint remplacer la phrase sur le mur.
Aprés
avoir échangé quelques minutes sur le Réseau, je me préparai pour
aller la rejoindre.
En
sortant de la cabine, je trébuchai sur Lianette, accroupie devant ma
porte en pleine discussion avec ce qui ressemblait à un petit droïde
de service. Je me rattrapai tant bien que mal au mur opposé de la
coursive, tandis qu'elle levait son regard vers moi et me demandait:
"T'as vu la baleine ?"
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire