Après
être sortie de l'infirmerie (ou son équivalent), je me suis
retrouvée... dehors. Ce qui, étant donné les circonstances, ne
veut pas dire "à l'air libre" mais dans l'habitacle du
Haniwa. Ou la Cabine. Ou la Carlingue. Impossible de savoir
comment les constructeurs ont choisi de l'appeler.
Quoi
qu'il en soit, l'impression que cela procure est plus qu'étrange ;
non seulement, il n'y a pas de ciel à proprement parler, mais ce
qu'on a au-dessus de la tête, c'est... un autre sol, fortement
courbé, menaçant et pas assez éloigné à mon goût. On jurerait
même qu'à tout moment, il va vous tomber dessus. M'est avis que
cela va créer de nouvelles phobies et superstitions ; un
mélange de claustrophobie et d'agoraphobie... Comment dire ?
Tubophobie ? Pas assez grec pour emporter l'adhésion des
porteurs de blouses.
Bref,
rien qu'une bonne casquette à large visière ne saurait pallier ;
grâc au vieil adage "Loin des yeux, loin du cœur".
Me reste plus qu'à en trouver une... ou la coudre moi-même, et
pourquoi pas ? monter un atelier de couture de casquettes !
Le
souci, c'est que je n'ai toujours pas mes affaire avec moi. La
marmotte de mon père n'était pas à l'infirmerie (j'ai bien regardé
sous le lit). J'espère qu'elle n'a pas été oubliée à bord de
TOR-18. Mais à qui je pose la question ? Au premier
venu ? J'aperçois bien des groupes bigarrés, assis ou en
mouvements. Ils ont l'air d'être à la fois loins et proches ;
je n'en sais rien à cause des perspectives qui sont franchement
perturbantes. Le seul point de fuite est à la fois transversal et
central ; c'est comme s'il y avait deux horizons en forme de
disque, qui se font face, un éclairé, l'autre sombre. Et le
résultat est qu'on a l'impression de se trouver à l'intérieur d'un
canon de fusil. Du très gros calibre, bien sûr.
Je
suppose que nous ne sommes pas encore les dix mille attendus à bord,
ce qui explique que la densité de population frôle le désertique.
Ou alors, c'est que la majorité des arrivants préfère rester dans
l'épaisseur de la coque. Bon sang ! C'est tellement énorme que
mes cris ne rendent aucun écho.
—
Are you in trouble ? fait une voix derrière moi.
Je
me retourne. Au premier abord, je dirais qu'un distributeur
automatique de boissons a décidé de devenir mon ami.
—
Un problème ? Non,
pourquoi ? Répondez en français.
—
Vous avez crié plusieurs
fois, ce qui est un signe possible de détresse.
—
Ou d'exultation. Ajoutez ça
à votre banque de données.
—
Je vous remercie pour cette
précision.
Très
poli, dis donc. Et bien programmé. Tant mieux pour la communication.
—
Tu es un droïde,
j'imagine ? Comment tu t'appelles ?
—
Je n'ai pas encore été
immatriculé. Je ne suis en service que depuis douze heures et onze
minutes. Voulez-vous avoir ce privilège ? Ou préférez-vous
utiliser mon numéro de série ?
—
Il fait combien de
caractères de long ?
—
Quarante-huit signes
alphanumériques et six typographiques.
—
OK. Laisse-moi réfléchir.
Donner
des noms aux choses... Le privilège exorbitant des découvreurs,
colons et autres Adam et Eve. Le meilleur moyen d'imposer à autrui
un point de vue étranger, donc erroné. Soit je fais dans le
classique, soit j'innove. Pas de témoin ? Tant mieux.
—
Admettons que je te laisse
choisir toi-même, ça donnerait quoi ?
—
Je ne suis pas quantique, ce
qui m'interdit de sortir des champs aléatoires prévisibles, mais je
peux demander conseil à l'unité centrale du Haniwa.
—
Elle est quantique ?
—
A titre expérimental, sur
un circuit parallèle.
Je
ne sais pas si c'est une bonne nouvelle mais je décide de déborder
d'enthousiasme. Deviendrais-je optimiste ? A mon avis, cela
signifie simplement que l'air conditionné du Haniwa contient plus
d'oxygène que la moyenne atmosphérique terrestre. Excellent moyen
de maintenir le moral des troupes. Et ça ne coûte pas plus cher.
—
Alors, vas-y. Demande à
Haniwa de te prêter une étincelle de hasard et trouve-toi un
nom qui te... plaise.
L'engin
se met à clignoter dur pendant trois secondes.
—
Catastrophe économique au
Burkina Faso.
A
mon tour de rester muette pendant trois secondes.
—
Euh.. C'était ton nom ou
une mauvaise nouvelle que tu m'annonçais ?
—
C'est mon nom, désormais.
—
Pourquoi l'as-tu choisi ?
—
C'est l'unité sémantique
qui s'est retrouvée isolée à l'instant où l'Unité centrale du
Haniwa a sélectionné une réponse plausible.
—
Je vois. Ecoute, j'ai deux
nouvelles à t'annoncer. Un : tu viens de découvrir le libre
arbitre, ou disons, ce qui s'en rapproche le plus pour toi. Et deux :
je vais t'appeler Burkina. C'est plus joli et ça devrait suffire.
—
D'accord. Puis-je vous poser
une question ?
—
Oui, oui. Pas la peine
d'attendre mon autorisation.
—
Comment avez-vous appris que
l'Unité centrale du Haniwa s'est immatriculée elle-même
Libre-Arbitre ?
Il
me faut un bon quart de minute pour comprendre.
—
Tu plaisantes ?
—
Je ne suis pas programmé
pour cela, répond Burkina.
—
Quant a-t-elle décidé de
prendre ce nom ?
—
Il y a trente-deux secondes
et sept centièmes environ, quand je lui ai demandé de me trouver un
nom. Elle l'a fait en même temps pour tous les processeurs du
vaisseau en service public. Voulez-vous connaître les noms des
quatre millions quatre cent quarante-quatre mille processeurs
actuellement à bord ?
—
Non, ça va aller !
Laisse-moi la.. les surprises. Maintenant, rends-toi utile :
puisque tu as accès au réseau interne du vaisseau, dis-moi où je
peux trouver un humain mâle répondant au prénom d'Ylan.
—
Je n'en vois aucun sur la
liste du réseau.
—
Mer... credi !
Pourquoi ?
—
Il a pu s'enregistrer sous
un autre nom, ou à l'aide d'un pseudo, le reste étant confidentiel.
Plus simplement, il ne l'a peut-être pas encore fait.
Je
n'avais même pas pensé à ça. Pire encore : et s'il ne veut
pas le faire ? Encore pire encore : si je veux qu'il me
retrouve pas ce réseau, il faut que je m'y inscrive, que ça me
plaise ou non.
Et
voilà ! Déjà des compromis.
—
OK, Burkina. Ecoute-moi
bien : je vais m'inscrire sur ton réseau social, mais avant je
veux que tu me dises où se trouve ma marmotte.
—
Vous n'avez pas enregistré
d'animal de compagnie.
—
Ma mallette, andou.. !
Mon bagage, tout ce que j'ai embarqué avec moi. Mes trente kilos
serrés dans un demi-mètre cube. Mes couleurs, quoi !
—
Tous les effets personnels
des arrivants d'hier ont été regroupés au Hangar 27, Degré 40 sur
l'Anneau 13.
Bon
sang ! Déjà que la géographie sur une sphère n'a
jamais été mon fort, qu'est-ce que ça va donner dans
un cylindre ?
—
Il y a des véhicules pour
s'y rendre ?
—
J'en ai appelé un ; il
sera ici dans quatre minutes et vingt secondes approxim..
—
Ouais. D'ici là, montre-moi
comment on s'inscrit sur ton réseau. Au fait, il a un nom, lui
aussi ?
—
H2SO4
+ H2O
→ H3O+
+ HSO4−
.
Encore
une fois, je reste muette un instant. M'est avis que l'imagination
débridée ne fait pas encore partie des caractéristiques propres
aux robots. D'un autre côté, ça vous a un petit côté
surréaliste.
—
On va simplifier en H2O,
d'accord ? Cela évitera les connotations négatives.
—
D'accord. Pas d'opposition
enregistrée.
Et
son écran frontal m'affiche un questionnaire, à remplir au crayon
sec. Allons-y pour le portrait de moi.
Identité: Sophie
Mars
(Je décide de laisser
tomber Nansen. Je caresse l'espoir que les mariages n'auront pas
cours à bord du Haniwa, donc exit les divorces, et les
enfants à noms ponts-levis).
Rôle à bord:
Indeterminator.
Compétences: Dessin
- Coloriage - Chansons naines.
Quel type d'organisation
souhaitez-vous voir instaurée à bord ?
(Alors, là, mon vieux, je
n'en sais trop rien. Du coup, je réponds :)
Aucune pour l'instant, et
pourvu que ça dure !
Apparemment,
c'est tout ce qu'ils veulent savoir. Plus qu'à valider. Dont acte.
—
Merci, fait Burkina. Votre
inscription est à jour.
—
Bon. Et maintenant, est-ce
que tu as un Ylan dans tes listings ?
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