Chère
libellule,
Merci
à Mona, qui est une spécialiste en transmission de pensée et nous
permettra de communiquer de façon aussi claire que possible.
Donc
voilà, je pars... Je n’osais trop y croire pour diverses raisons,
la principale étant la peur. C’est ainsi, nous sommes prêts à
nous battre comme des sauvages pour atteindre certains objectifs qui
vont modifier notre vie et... quand nous avons réussi, il arrive que
l’angoisse nous fasse reculer.
Personnellement,
quand la nouvelle de mon admission est arrivée, je dois avouer que
le découragement m’a gagnée et je me suis étendue sur le canapé,
plus morte que vive, en me demandant si j’avais fait le bon choix.
Je
n’étais pas la seule... Peu après, j’ai rencontré Jacques,
l’homme dont j’avais apprécié le calme et l’humour lors des
réunions. Il faisait grise mine et j’ai cru qu’il n’avait pas
été sélectionné, mais il souffrait seulement de sentiments aussi
contradictoires que les miens.
Bref,
nous sommes maintenant à quelques encablures du départ définitif..
le pire est fait.
C’est,
tu t’en doutes, un évènement angoissant pour nous. Quitter la
terre sans (grand) espoir de retour est une perspective plus
inquiétante que réjouissante.
Pour
commencer s’est posé le problème bassement matériel des bagages
et nous avons beaucoup discuté à ce sujet. Tous ces préparatifs
nous impressionnaient tellement... Qu’emporter ? Nous n’avons
pas droit à l’erreur car notre voyage sera probablement le seul
possible et nous sommes extrêmement limités en poids.
Je
pense que nous nous sommes tous plus ou moins débarrassés de
l’attachement au « Matériel »... Sans cette évolution,
un tel départ n’aurait pas été possible.
Il y a
très longtemps, un journaliste avait interrogé en vain Jean
Cocteau, un poète du siècle dernier, totalement inconnu
aujourd’hui, au sujet de son objet préféré... A la question
désespérée du journaliste " Monsieur Cocteau, si votre
maison brûlait, qu’emporteriez-vous ? " celui-ci
avait répondu : « J’emporterais le feu... »
Nous
emportons, nous aussi, le feu... et un tout petit peu plus !
En ce
qui me concerne, j’ai mis tout d’abord quelques regrets dans une
valise, même si j’ai souvent affirmé avec plus de crânerie que
de sincérité (nul n’est parfait !) que je préférais les
remords aux regrets... J’ai mis quelques certitudes, dans une
autre. Elles ont été sérieusement soupesées, si je puis dire...
Vois-tu, j’ai enfin compris quels ont été les critères de
sélection pour cette aventure. Comme le dit le sage, « on
emporte son monde avec soi » ; aussi, quelles que soient
nos compétences, nous avons été choisis grâce à deux critères...
appelons les qualités, si tu le veux bien : le sens des
responsabilités : nous nous sentons aussi responsables que
« les autres » de la dégradation de notre planète...
et de fait, si nous partons, c’est pour de tout autres raisons que
celles de nous poser en exceptions.
L’ouverture
d’esprit, surtout... L’intolérance, qu’elle soit religieuse,
politique, scientifique ou autre… sévit depuis des dizaines, voire
des centaines d’années sur notre terre et, dans tous les domaines,
les dogmes ont étouffé la créativité. Il est donc nécessaire
pour nous d’emporter seulement les certitudes utiles à la création
de notre nouveau monde... nous abandonnerons les autres.
Il
faut tout de même en arriver aux quelques biens matériels qui nous
accompagnent là-bas.
Qu’emporter ?
Dans ce genre d’aventure, c’est tout ou rien... et à part le
nécessaire de base : brosse à cheveux et à dents, couteaux &
ciseaux, vêtements utiles, etc. Nous nous sommes, évidemment,
équipés de la dernière génération d’ordinateurs cosmiques.
« Qu’és
aco ? » aurait dit mon père qui ne comprenait pas
l’intérêt de ces machines.
Il
faut dire que, chance ou malchance (qui le sait ?), ces 40 ou 50
dernières années, alors que de nombreux êtres humains ne cessaient
de se rabougrir dans une inactivité mentale et intellectuelle
désespérante (et exaspérante), la technologie n’a cessé de
produire du matériel informatique de plus en plus performant.
Nos
ordinateurs cosmiques fonctionnent à l’énergie (la chaleur)
humaine et leurs composants ont été spécialement conçus pour se
régénérer dans l’atmosphère de notre nouvelle planète, assez
longtemps en tout cas.
En ce
qui concerne la connexion avec la Terre, c’est incertain, mais nous
avons bon espoir de la développer. Dans un premier temps, nous
continuerons d’utiliser la force de la pensée. Par ailleurs,
l’informatique nous a permis d’emmener une quantité considérable
de documents numériques. Est-il nécessaire de préciser que nous
avons téléchargé très peu de romans. Ce sera l’occasion
d’écrire là-bas et d’inventer notre vie au jour le jour... Mais
nous avons stocké, dans des micro-disques durs portables, une masse
d’informations utiles... Par exemple, nos médecins n’ont emporté
que quelques instruments chirurgicaux… Au-delà, nous exploiterons
presque exclusivement les ressources de la médecine énergétique,
que nous pratiquerons ensemble. Nous avons donc emporté des
documents " techniques " importants.
A part
ça, j’emporte mes documents audio préférés car il me sera
indispensable d’entendre des voix de notre Terre.
Je
t’avoue que, contre toute logique, j’ai tout de même pris
quelques crayons, un peu de papier et une petite boîte de peinture.
J’ai également glissé dans mes bagages quelques bouts de tissu et
mes fils de broderie que je n’ai pourtant plus utilisés depuis de
nombreuses années.
Je
n’emporte aucun bijou, excepté mon collier de perles. Ma mère
l’avait « acheté » au Japon, il y a très longtemps, par
l’intermédiaire d’une de ses amies qui lui avait fait passer la
douane, caché dans ses vêtements.
Tu vas
penser que j’ai finalement emporté plus de superflu que
d’essentiel… Il est vrai que je ne prône pas le masochisme, mais
l’essentiel y est, rassure-toi, et il faudra bien apprendre à
vivre SANS... C’est à dire sans le passé et tout ce qui lui
appartient.
Ceci
dit, je parle beaucoup, peut-être pour oublier que nous sommes sur
le chemin depuis deux petites heures déjà... Souspeu, nous
embarquerons à bord de Haniwa.. enfin, il nous faudra quelques
heures car il ne peut s’approcher de la Terre et il est en orbite
au point Lagrange L-3 .
Nous
avons quitté nos maisons ce matin, furtivement (pour ne pas ameuter
les rares personnes qui arrivent encore à se lever le matin)... et
lourdement chargés de... nos angoisses.
J’avoue
que depuis hier, je flotte dans une impression d’irréalité et tu
peux imaginer que je n’ai pas beaucoup dormi cette nuit... Mais
pour la plupart d’entre nous, l’heure n’est plus au
questionnement. Je dis « pour la plupart d’entre nous »
car s’il y a eu des défections de dernière minute, comme on
pouvait s’y attendre, c’est une minorité... que, d’ailleurs,
personne ne juge, tant est « a-normal » ce grand saut dans
l’inconnu.
Nos
bagages nous ayant précédés, nous partirons avec les bagages de
ceux qui ont changé d’avis.
Nous
avons fait une partie du chemin en bus ou en train et maintenant,
nous marchons sur la tarmac de l’aéroport Bill Gates.
10 heures
déjà ! On pourrait dire métaphoriquement que, par petits
groupes, les « bêtes » s’agglutinent les unes aux
autres, la tête basse et sans parler ; enfin, apparemment,
puisque, en ce qui me concerne, je te parle dans ma tête... Devant
moi, un homme tente de rompre le silence qu’il doit trouver
angoissant : « Vous comprenez, je suis veuf depuis un an,
et seul c’est pas une vie... » dit-il à son voisin qui ne
comprend pas, car il ne parle pas un mot de notre langue... « Au
cas où vous ne l’auriez pas encore remarqué, il n’y a pas que
du bleu /blanc/ rouge dans ce convoi », souligne un autre
membre du groupe... Le veuf dit avec un sourire « Oui, je le
sais, évidemment » et la glace est rompue. Un murmure agite
les groupes… On s’interroge de-ci de-là au sujet de la capacité
de notre vaisseau spatial... Quelqu'un dit : « Gros !
gros !... Il ne l’est pas autant que l’a dit Pauline "
Va savoir si une telle affirmation est rassurante ou contrariante.
Nous
allons le savoir dès que possible. Pour l’heure, nous embarquons à
bord du vaisseau de service n°
40-QB-24.
J’ai
soudain envie de crier « Non, pas moi ! » comme si
nous étions menés à l’abattoir... mais cette panique ne dure que
quelques minutes.
Nous
décollons très vite. Le vaisseau est conçu de telle manière que
personne ne se trouve loin des hublots... De nouveau, le silence...
Nous sommes fascinés par la Terre qui s’éloigne rapidement. Nous
voulons tous garder les images le plus longtemps possible dans nos
cœurs...
Lisa
se met à rire puis à pleurer et nous ne sommes pas loin de fondre
tous en larmes, mais un de nos guides, qui fait fonction de steward,
nous propose... du champagne (mais où l’ont ils trouvé ?) ce
qui d’une certaine manière nous ramène un peu « sur terre
si j’ose dire... et détend l’atmosphère.
Je
ferme les yeux pour boire ce qui sera le dernier alcool de ma vie
(ouh là là !) mais foin de nostalgie ! Comme nous le
savons tous, le champagne a pratiquement disparu de la Terre du fait
de la pollution qui a tué les vignes… De plus, de nombreuses
aventures nous attendent là-bas, et comme nous serons sur une
planète, vierge de tout habitant, l’enracinement ne sera pas
entravé par des luttes avec des populations déjà installées.
Je
te quitte, car nous apercevons la silhouette de l’Haniwa...
En
espérant que la distance ne sera pas un obstacle à notre
communication.
Je
te laisse ma maison... Prends en soin... ou pas. Libre à toi !
Je
t’embrasse,
Mosaïne
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