mercredi 18 mars 2015

MF 1.2

Chère libellule,
Merci à Mona, qui est une spécialiste en transmission de pensée et nous permettra de communiquer de façon aussi claire que possible.
Donc voilà, je pars... Je n’osais trop y croire pour diverses raisons, la principale étant la peur. C’est ainsi, nous sommes prêts à nous battre comme des sauvages pour atteindre certains objectifs qui vont modifier notre vie et... quand nous avons réussi, il arrive que l’angoisse nous fasse reculer.
Personnellement, quand la nouvelle de mon admission est arrivée, je dois avouer que le découragement m’a gagnée et je me suis étendue sur le canapé, plus morte que vive, en me demandant si j’avais fait le bon choix.
Je n’étais pas la seule... Peu après, j’ai rencontré Jacques, l’homme dont j’avais apprécié le calme et l’humour lors des réunions. Il faisait grise mine et j’ai cru qu’il n’avait pas été sélectionné, mais il souffrait seulement de sentiments aussi contradictoires que les miens.
Bref, nous sommes maintenant à quelques encablures du départ définitif.. le pire est fait.
C’est, tu t’en doutes, un évènement angoissant pour nous. Quitter la terre sans (grand) espoir de retour est une perspective plus inquiétante que réjouissante.

Pour commencer s’est posé le problème bassement matériel des bagages et nous avons beaucoup discuté à ce sujet. Tous ces préparatifs nous impressionnaient tellement... Qu’emporter ? Nous n’avons pas droit à l’erreur car notre voyage sera probablement le seul possible et nous sommes extrêmement limités en poids.
Je pense que nous nous sommes tous plus ou moins débarrassés de l’attachement au « Matériel »... Sans cette évolution, un tel départ n’aurait pas été possible.
Il y a très longtemps, un journaliste avait interrogé en vain Jean Cocteau, un poète du siècle dernier, totalement inconnu aujourd’hui, au sujet de son objet préféré... A la question désespérée du journaliste " Monsieur Cocteau, si votre maison brûlait, qu’emporteriez-vous ? " celui-ci avait répondu : « J’emporterais le feu... »
Nous emportons, nous aussi, le feu... et un tout petit peu plus !
En ce qui me concerne, j’ai mis tout d’abord quelques regrets dans une valise, même si j’ai souvent affirmé avec plus de crânerie que de sincérité (nul n’est parfait !) que je préférais les remords aux regrets... J’ai mis quelques certitudes, dans une autre. Elles ont été sérieusement soupesées, si je puis dire... Vois-tu, j’ai enfin compris quels ont été les critères de sélection pour cette aventure. Comme le dit le sage, « on emporte son monde avec soi » ; aussi, quelles que soient nos compétences, nous avons été choisis grâce à deux critères... appelons les qualités, si tu le veux bien : le sens des responsabilités : nous nous sentons aussi responsables que « les autres  » de la dégradation de notre planète... et de fait, si nous partons, c’est pour de tout autres raisons que celles de nous poser en exceptions.
L’ouverture d’esprit, surtout... L’intolérance, qu’elle soit religieuse, politique, scientifique ou autre… sévit depuis des dizaines, voire des centaines d’années sur notre terre et, dans tous les domaines, les dogmes ont étouffé la créativité. Il est donc nécessaire pour nous d’emporter seulement les certitudes utiles à la création de notre nouveau monde... nous abandonnerons les autres.
Il faut tout de même en arriver aux quelques biens matériels qui nous accompagnent là-bas.
Qu’emporter ? Dans ce genre d’aventure, c’est tout ou rien... et à part le nécessaire de base : brosse à cheveux et à dents, couteaux & ciseaux, vêtements utiles, etc. Nous nous sommes, évidemment, équipés de la dernière génération d’ordinateurs cosmiques.
« Qu’és aco ?  » aurait dit mon père qui ne comprenait pas l’intérêt de ces machines.
Il faut dire que, chance ou malchance (qui le sait ?), ces 40 ou 50 dernières années, alors que de nombreux êtres humains ne cessaient de se rabougrir dans une inactivité mentale et intellectuelle désespérante (et exaspérante), la technologie n’a cessé de produire du matériel informatique de plus en plus performant.
Nos ordinateurs cosmiques fonctionnent à l’énergie (la chaleur) humaine et leurs composants ont été spécialement conçus pour se régénérer dans l’atmosphère de notre nouvelle planète, assez longtemps en tout cas.
En ce qui concerne la connexion avec la Terre, c’est incertain, mais nous avons bon espoir de la développer. Dans un premier temps, nous continuerons d’utiliser la force de la pensée. Par ailleurs, l’informatique nous a permis d’emmener une quantité considérable de documents numériques. Est-il nécessaire de préciser que nous avons téléchargé très peu de romans. Ce sera l’occasion d’écrire là-bas et d’inventer notre vie au jour le jour... Mais nous avons stocké, dans des micro-disques durs portables, une masse d’informations utiles... Par exemple, nos médecins n’ont emporté que quelques instruments chirurgicaux… Au-delà, nous exploiterons presque exclusivement les ressources de la médecine énergétique, que nous pratiquerons ensemble. Nous avons donc emporté des documents " techniques " importants.
A part ça, j’emporte mes documents audio préférés car il me sera indispensable d’entendre des voix de notre Terre.
Je t’avoue que, contre toute logique, j’ai tout de même pris quelques crayons, un peu de papier et une petite boîte de peinture. J’ai également glissé dans mes bagages quelques bouts de tissu et mes fils de broderie que je n’ai pourtant plus utilisés depuis de nombreuses années.
Je n’emporte aucun bijou, excepté mon collier de perles. Ma mère l’avait « acheté » au Japon, il y a très longtemps, par l’intermédiaire d’une de ses amies qui lui avait fait passer la douane, caché dans ses vêtements.
Tu vas penser que j’ai finalement emporté plus de superflu que d’essentiel… Il est vrai que je ne prône pas le masochisme, mais l’essentiel y est, rassure-toi, et il faudra bien apprendre à vivre SANS... C’est à dire sans le passé et tout ce qui lui appartient.
Ceci dit, je parle beaucoup, peut-être pour oublier que nous sommes sur le chemin depuis deux petites heures déjà... Souspeu, nous embarquerons à bord de Haniwa.. enfin, il nous faudra quelques heures car il ne peut s’approcher de la Terre et il est en orbite au point Lagrange L-3 .

Nous avons quitté nos maisons ce matin, furtivement (pour ne pas ameuter les rares personnes qui arrivent encore à se lever le matin)... et lourdement chargés de... nos angoisses.
J’avoue que depuis hier, je flotte dans une impression d’irréalité et tu peux imaginer que je n’ai pas beaucoup dormi cette nuit... Mais pour la plupart d’entre nous, l’heure n’est plus au questionnement. Je dis « pour la plupart d’entre nous » car s’il y a eu des défections de dernière minute, comme on pouvait s’y attendre, c’est une minorité... que, d’ailleurs, personne ne juge, tant est « a-normal » ce grand saut dans l’inconnu.
Nos bagages nous ayant précédés, nous partirons avec les bagages de ceux qui ont changé d’avis.
Nous avons fait une partie du chemin en bus ou en train et maintenant, nous marchons sur la tarmac de l’aéroport Bill Gates.
10 heures déjà ! On pourrait dire métaphoriquement que, par petits groupes, les « bêtes » s’agglutinent les unes aux autres, la tête basse et sans parler ; enfin, apparemment, puisque, en ce qui me concerne, je te parle dans ma tête... Devant moi, un homme tente de rompre le silence qu’il doit trouver angoissant : « Vous comprenez, je suis veuf depuis un an, et seul c’est pas une vie... » dit-il à son voisin qui ne comprend pas, car il ne parle pas un mot de notre langue... « Au cas où vous ne l’auriez pas encore remarqué, il n’y a pas que du bleu /blanc/ rouge dans ce convoi », souligne un autre membre du groupe... Le veuf dit avec un sourire « Oui, je le sais, évidemment » et la glace est rompue. Un murmure agite les groupes… On s’interroge de-ci de-là au sujet de la capacité de notre vaisseau spatial... Quelqu'un dit : « Gros ! gros !... Il ne l’est pas autant que l’a dit Pauline " Va savoir si une telle affirmation est rassurante ou contrariante.
Nous allons le savoir dès que possible. Pour l’heure, nous embarquons à bord du vaisseau de service n° 40-QB-24.
J’ai soudain envie de crier « Non, pas moi ! » comme si nous étions menés à l’abattoir... mais cette panique ne dure que quelques minutes.
Nous décollons très vite. Le vaisseau est conçu de telle manière que personne ne se trouve loin des hublots... De nouveau, le silence... Nous sommes fascinés par la Terre qui s’éloigne rapidement. Nous voulons tous garder les images le plus longtemps possible dans nos cœurs...
Lisa se met à rire puis à pleurer et nous ne sommes pas loin de fondre tous en larmes, mais un de nos guides, qui fait fonction de steward, nous propose... du champagne (mais où l’ont ils trouvé ?) ce qui d’une certaine manière nous ramène un peu « sur terre  si j’ose dire... et détend l’atmosphère.
Je ferme les yeux pour boire ce qui sera le dernier alcool de ma vie (ouh là là !) mais foin de nostalgie ! Comme nous le savons tous, le champagne a pratiquement disparu de la Terre du fait de la pollution qui a tué les vignes… De plus, de nombreuses aventures nous attendent là-bas, et comme nous serons sur une planète, vierge de tout habitant, l’enracinement ne sera pas entravé par des luttes avec des populations déjà installées.

Je te quitte, car nous apercevons la silhouette de l’Haniwa...
En espérant que la distance ne sera pas un obstacle à notre communication.
Je te laisse ma maison... Prends en soin... ou pas. Libre à toi !
Je t’embrasse,

Mosaïne

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