lundi 27 avril 2015

ABf 1.4

Après être sortie de l'infirmerie (ou son équivalent), je me suis retrouvée... dehors. Ce qui, étant donné les circonstances, ne veut pas dire "à l'air libre" mais dans l'habitacle du Haniwa. Ou la Cabine. Ou la Carlingue. Impossible de savoir comment les constructeurs ont choisi de l'appeler.
Quoi qu'il en soit, l'impression que cela procure est plus qu'étrange ; non seulement, il n'y a pas de ciel à proprement parler, mais ce qu'on a au-dessus de la tête, c'est... un autre sol, fortement courbé, menaçant et pas assez éloigné à mon goût. On jurerait même qu'à tout moment, il va vous tomber dessus. M'est avis que cela va créer de nouvelles phobies et superstitions ; un mélange de claustrophobie et d'agoraphobie... Comment dire ? Tubophobie ? Pas assez grec pour emporter l'adhésion des porteurs de blouses.
Bref, rien qu'une bonne casquette à large visière ne saurait pallier ; grâc au vieil adage "Loin des yeux, loin du cœur". Me reste plus qu'à en trouver une... ou la coudre moi-même, et pourquoi pas ? monter un atelier de couture de casquettes !
Le souci, c'est que je n'ai toujours pas mes affaire avec moi. La marmotte de mon père n'était pas à l'infirmerie (j'ai bien regardé sous le lit). J'espère qu'elle n'a pas été oubliée à bord de TOR-18. Mais à qui je pose la question ? Au premier venu ? J'aperçois bien des groupes bigarrés, assis ou en mouvements. Ils ont l'air d'être à la fois loins et proches ; je n'en sais rien à cause des perspectives qui sont franchement perturbantes. Le seul point de fuite est à la fois transversal et central ; c'est comme s'il y avait deux horizons en forme de disque, qui se font face, un éclairé, l'autre sombre. Et le résultat est qu'on a l'impression de se trouver à l'intérieur d'un canon de fusil. Du très gros calibre, bien sûr.
Je suppose que nous ne sommes pas encore les dix mille attendus à bord, ce qui explique que la densité de population frôle le désertique. Ou alors, c'est que la majorité des arrivants préfère rester dans l'épaisseur de la coque. Bon sang ! C'est tellement énorme que mes cris ne rendent aucun écho.
Are you in trouble ? fait une voix derrière moi.
Je me retourne. Au premier abord, je dirais qu'un distributeur automatique de boissons a décidé de devenir mon ami.
Un problème ? Non, pourquoi ? Répondez en français.
Vous avez crié plusieurs fois, ce qui est un signe possible de détresse.
Ou d'exultation. Ajoutez ça à votre banque de données.
Je vous remercie pour cette précision.
Très poli, dis donc. Et bien programmé. Tant mieux pour la communication.
Tu es un droïde, j'imagine ? Comment tu t'appelles ?
Je n'ai pas encore été immatriculé. Je ne suis en service que depuis douze heures et onze minutes. Voulez-vous avoir ce privilège ? Ou préférez-vous utiliser mon numéro de série ?
Il fait combien de caractères de long ?
Quarante-huit signes alphanumériques et six typographiques.
OK. Laisse-moi réfléchir.
Donner des noms aux choses... Le privilège exorbitant des découvreurs, colons et autres Adam et Eve. Le meilleur moyen d'imposer à autrui un point de vue étranger, donc erroné. Soit je fais dans le classique, soit j'innove. Pas de témoin ? Tant mieux.
Admettons que je te laisse choisir toi-même, ça donnerait quoi ?
Je ne suis pas quantique, ce qui m'interdit de sortir des champs aléatoires prévisibles, mais je peux demander conseil à l'unité centrale du Haniwa.
Elle est quantique ?
A titre expérimental, sur un circuit parallèle.
Je ne sais pas si c'est une bonne nouvelle mais je décide de déborder d'enthousiasme. Deviendrais-je optimiste ? A mon avis, cela signifie simplement que l'air conditionné du Haniwa contient plus d'oxygène que la moyenne atmosphérique terrestre. Excellent moyen de maintenir le moral des troupes. Et ça ne coûte pas plus cher.
Alors, vas-y. Demande à Haniwa de te prêter une étincelle de hasard et trouve-toi un nom qui te... plaise.
L'engin se met à clignoter dur pendant trois secondes.
Catastrophe économique au Burkina Faso.
A mon tour de rester muette pendant trois secondes.
Euh.. C'était ton nom ou une mauvaise nouvelle que tu m'annonçais ?
C'est mon nom, désormais.
Pourquoi l'as-tu choisi ?
C'est l'unité sémantique qui s'est retrouvée isolée à l'instant où l'Unité centrale du Haniwa a sélectionné une réponse plausible.
Je vois. Ecoute, j'ai deux nouvelles à t'annoncer. Un : tu viens de découvrir le libre arbitre, ou disons, ce qui s'en rapproche le plus pour toi. Et deux : je vais t'appeler Burkina. C'est plus joli et ça devrait suffire.
D'accord. Puis-je vous poser une question ?
Oui, oui. Pas la peine d'attendre mon autorisation.
Comment avez-vous appris que l'Unité centrale du Haniwa s'est immatriculée elle-même Libre-Arbitre ?
Il me faut un bon quart de minute pour comprendre.
Tu plaisantes ?
Je ne suis pas programmé pour cela, répond Burkina.
Quant a-t-elle décidé de prendre ce nom ?
Il y a trente-deux secondes et sept centièmes environ, quand je lui ai demandé de me trouver un nom. Elle l'a fait en même temps pour tous les processeurs du vaisseau en service public. Voulez-vous connaître les noms des quatre millions quatre cent quarante-quatre mille processeurs actuellement à bord ?
Non, ça va aller ! Laisse-moi la.. les surprises. Maintenant, rends-toi utile : puisque tu as accès au réseau interne du vaisseau, dis-moi où je peux trouver un humain mâle répondant au prénom d'Ylan.
Je n'en vois aucun sur la liste du réseau.
Mer... credi ! Pourquoi ?
Il a pu s'enregistrer sous un autre nom, ou à l'aide d'un pseudo, le reste étant confidentiel. Plus simplement, il ne l'a peut-être pas encore fait.
Je n'avais même pas pensé à ça. Pire encore : et s'il ne veut pas le faire ? Encore pire encore : si je veux qu'il me retrouve pas ce réseau, il faut que je m'y inscrive, que ça me plaise ou non.
Et voilà ! Déjà des compromis.
OK, Burkina. Ecoute-moi bien : je vais m'inscrire sur ton réseau social, mais avant je veux que tu me dises où se trouve ma marmotte.
Vous n'avez pas enregistré d'animal de compagnie.
Ma mallette, andou.. ! Mon bagage, tout ce que j'ai embarqué avec moi. Mes trente kilos serrés dans un demi-mètre cube. Mes couleurs, quoi !
Tous les effets personnels des arrivants d'hier ont été regroupés au Hangar 27, Degré 40 sur l'Anneau 13.
Bon sang ! Déjà que la géographie sur une sphère n'a jamais été mon fort, qu'est-ce que ça va donner dans un cylindre ?
Il y a des véhicules pour s'y rendre ?
J'en ai appelé un ; il sera ici dans quatre minutes et vingt secondes approxim..
Ouais. D'ici là, montre-moi comment on s'inscrit sur ton réseau. Au fait, il a un nom, lui aussi ?
H2SO4 + H2O → H3O+ + HSO4 .
Encore une fois, je reste muette un instant. M'est avis que l'imagination débridée ne fait pas encore partie des caractéristiques propres aux robots. D'un autre côté, ça vous a un petit côté surréaliste.
On va simplifier en H2O, d'accord ? Cela évitera les connotations négatives.
D'accord. Pas d'opposition enregistrée.
Et son écran frontal m'affiche un questionnaire, à remplir au crayon sec. Allons-y pour le portrait de moi.

Identité: Sophie Mars
(Je décide de laisser tomber Nansen. Je caresse l'espoir que les mariages n'auront pas cours à bord du Haniwa, donc exit les divorces, et les enfants à noms ponts-levis).
Rôle à bord: Indeterminator.
Compétences: Dessin - Coloriage - Chansons naines.
Quel type d'organisation souhaitez-vous voir instaurée à bord ?
(Alors, là, mon vieux, je n'en sais trop rien. Du coup, je réponds :)
Aucune pour l'instant, et pourvu que ça dure !

Apparemment, c'est tout ce qu'ils veulent savoir. Plus qu'à valider. Dont acte.
Merci, fait Burkina. Votre inscription est à jour.
Bon. Et maintenant, est-ce que tu as un Ylan dans tes listings ?

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