vendredi 20 février 2015

MF 1.1

Chère Libellule,
Je t'imagine dans ton jardin aux arbres de métal inoxydable. Sais-tu que je n'arrive même plus à me souvenir des arbres... en bois, si j'ose dire... qui existaient autrefois ? C'est tellement loin. De nombreux souvenirs sont enfermés dans mon inconscient et ressurgissent inopinément comme les braises d'un feu que l'on croyait éteint.
Voilà ! malgré ces préliminaires un peu longuets, je vais te faire une annonce qui - je le sais -va te sembler brutale : JE PARS, et tu sais où...
Par quel cheminement en suis-je arrivée à cette décision ? me dis-tu (si ma perception est exacte) car je reçois ton message au moyen de la transmission de pensée qui est, certes, un moyen de communication assez courant de nos jours, bien qu'imparfait cependant.
Cela te semble irrationnel ? Tu n'as pourtant cessé de me répéter que l'humanité manquait cruellement de génie et d'audace. Nous vivons de manière monotone, sans enthousiasme, ni désir. Bref, nous vivons au ras des pâquerettes... si l'on peut employer cette expression devenue désuète par suite de l'extinction de toute végétation sur notre planète Terre.
C'était quoi une pâquerette ? Je ne sais pas vraiment... C'était une chose vivante qu'on appelait "fleur ", nous disait notre "professeure des écoles", à l'époque où l'école existait encore et dont nous étions les derniers survivants d'un système scolaire passé depuis aux oubliettes... En vérité, que pourraient apprendre nos chers bambins à l'heure où une grande partie de la civilisation a disparu de notre planète ? Que pourrait-on leur enseigner, à part de vagues souvenirs fantasmatiques que l'on intitulerait pompeusement : de l'histoire ancienne ?
Alors, je pars... Je l'espère du moins - avec le " cercle des étincelles de vie". Tu sais, ce grand rassemblement de terriens qui quittent la planète Terre le mois prochain dans le vaisseau spatial N 40 QB 24.
Ce sera une sorte d'arche de Noé, si tu veux, sans les animaux, qui ont disparu de la Terre mais que nous espérons reconstituer ailleurs avec nos ordinateurs animanus vegetaris.
Nous reconstruirons, non pas LE monde, mais UN monde, et je désire aider ceux de mes amis qui veulent se servir de leur cerveau et non uniquement des machines, même si, Dieu merci, nous en possédons encore quelques-unes capables de performances intéressantes.
Françoise a retrouvé, dans une cabane en ruine au fond du jardin de sa tante, des sortes de graine momifiées et Gérard, qui a autrefois obtenu un diplôme d'agriculture, est très optimiste à leur sujet. Nous espérons avoir des végétaux là- bas. En ce qui me concerne, et tu me l'as bien souvent reproché, j'aime réfléchir, créer, et je crois que ces capacités seront bien utiles pour élaborer le nouveau monde dont nous rêvons.
Je t'imagine écrasée par la chaleur, agitant tes mandibules en écho au cliquetis de tes arbres métalliques... et complètement désorientée par ma décision ; je te comprends, mais tu devrais venir également. Tes anciens talents de cuisinière seraient très appréciés là-bas quand nous aurons à nouveau de quoi nous nourrir décemment.
Moi j'en ai assez de la nourriture numérique... J'en ai plus qu'assez de devoir allumer mon ordinateur pour avoir ma dose journalière de ce que, envers et contre tout, on appelle encore de la soupe... de la soupe de quoi, grand Dieu ?
J'ai envie d'avoir enfin une alimentation vivante et je veux aider nos amis à la retrouver. Ce désir appartient peut être à la logique d'un autre temps ; et alors ?
Bon... je rêve peut-être car la liste des partants n'a pas encore été arrêtée et, même si j'ai bon espoir, je ne sais pas encore si ce message sera le dernier que tu recevras de moi.
Si c'est le cas, adieu donc.
Sinon, à bientôt.

Mosaïne

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