Après
m'être débarrassé de l'enfant à la porte de la cabine que
m'indiqua le droïde, je laissai le bracelet me guider jusqu'au bloc
où j'étais censé récupérer mes affaires. Je m'engageai sur une
bande roulante amovible, notant au passage les poignées et les
câbles tendus sur les parois de la coursive principale. Je suivis
ainsi un long moment le code couleur rouge-marron-rouge, petite
tranche de merde saignante dont les reflets nimbaient le corridor
d'une teinte en parfaite adéquation avec mon humeur.
Les
couloirs se succédaient, tous déserts. Mon imaginaire fleurissait
en suggestions toujours plus folles à partir de questions toujours
plus nombreuses. Pourquoi Sophie n'avait-elle pas eu de bracelet ? Où
étaient-ils tous ? Y avait-il un pilote dans l'avion ? Qu'est ce
que c'était que cette histoire de baleine ? Et par-dessus tout :
étions-nous partis ?
Merde.
Je réalisai que je baignais dans le bleu-vert et que le bracelet
couinait d'une façon tout à fait désagréable à mon poignet. Je
revins sur mes pas, notant que le code bleu-vert-bleu annonçait un
corridor plus large et incurvé vers la droite. Mon patch me susurra
à l'oreille que, cette coursive étant réservée aux membres de
l'équipage, j'étais prié de retourner dans la zone qui m'était
assignée... Bien, au moins y avait-il un "équipage".
Je
repensai à Sophie. Comment faisait-elle sans patch ? Moi qui me
pensai marginal avec mon refus des interfaces organiques, même
standard, je retrouvai en elle l'absolutisme sans concession de ma
tante, ses combats "Déconne, eh, sinon..." pour la
déconnexion obligatoire des moins de trois ans, ses happenings
sur les parkings de net-drive et ses distributions de livres autour
des "cages-à-petits" des cités.
Porté
par mes souvenirs, j'arrivai au dock et présentai le bracelet, l'œil
droit et l'index gauche au cerbé-drone de l'entrée, puis me
dirigeai vers le large comptoir où un droïde de charge venait de
déposer mon colis, toujours enveloppé de ses couches de plasthermo.
Après
m'être battu quelques minutes avec l'emballage, je retrouvai les
possessions terrestres que j'avais choisi d'emporter un ou deux
siècles plus tôt. La vacuité de l'ensemble hétéroclite débordant
du cube m'attrapa à la gorge ; je m'empressai d'enfourner
rapidement escarpins, boîte à bijoux et autres dans le sac
auto-grav laissé par le droïde.
Des
éclats de voix résonnèrent soudain dans le silence bordé par le
chuchotement omniprésent des systémes LS. Un groupe d'humains
s'agitait autour d'une pile d'objets dispersés sur un comptoir à
l'autre bout de l'immense entrepôt. Un droïde glissa vers eux, puis
un autre. Je tentai de percevoir ce qu'ils disaient mais la taille de
la salle avalait leurs paroles. Je me détournai et retournai à mes
affaires ; la solitude commençait à me plaire. Je finis de
ranger les dernières bricoles dans le sac.
Sophie
devait me rejoindre "une heure ou deux" après son dernier
message, mais sans bracelet ni patch, sa notion de l'heure risquait
d'être assez subjective. Je ne la connaissais pas assez pour savoir
si elle vivait à une temporalité plutôt accélérée ou ralentie.
Je consultai mon patch pour voir si elle m'avait laissé un message,
puis m'assis par terre en décidant de sub-vocaliser mon journal du
jour en l'attendant.
Un
message m'attendait sur le réseau, mais pas celui de Sophie :
l'H2O me prévenait de l'attribution de mes quartiers d'habitation,
dans le secteur des labos, code bleu-noir, zone T-MD6.
Le
groupe de gens avait disparu en suivant de ce qui ressemblait à un
membre de l'équipage mais qui était probablement encore une
machine. J'étais de nouveau seul.
Je
me relevai et commençai à ressortir une à une mes babioles du sac,
sans trop savoir pourquoi. Je cherchai des yeux un compacteur pour y
jeter les bracelets d'entrée de fêtes et de concerts déjà
oubliés. Qu'est ce qui m'avait pris d'emporter ce bric à brac d'ado
dans l'espace ? La boîte à bijoux de ma mère, la Vénus de
ma tante, la pointe de flèche magdalénienne, passe encore ;
elles avaient leur place à mes côtés dans cette galère, mais le
reste... Et d'ailleurs où était-elle, cette flèche ?
Je
vidai l'auto-grav et étalai son contenu. Tout semblait y être sauf
l'artefact néolithique. Je réalisai bientôt que la fleur de bleuet
dans son bloc de résine manquait aussi. Mais je me souvenais
parfaitement l'avoir mise avec avec sa copine l'abeille sur la boîte
à bijoux, donc, "on" avait ouvert mon cube, sorti son
contenu, volé une pointe de flèche et un bleuet puis remballé le
tout à l'identique.
Merde.
Merde, merde et merde ! Ça commence à me faire plus que chier
cette histoire.
Punet !
Est ce que je suis au moins RÉELLEMENT
sur un foutu vaisseau ? Où dans le labo d'un sociolo-pathe fou ? Où
dans le coma, couché sur un lit d'hôpital à attendre la mort en
rêvant d'un départ métaphorisé ?
Je
dois parler à quelqu'un, croiser les expériences, me marrer un peu
et surtout, je dois bosser, faire un truc, reprendre une place.
Une
irrésistible démangeaison à l'entrejambe me ramena au présent
corporel : avant tout, il me fallait trouver un endroit où planquer
la bio-puce, sous peine de voir tout mes espoirs consumés par ma
chaleur intime.
Je
fus tenté de rappeler le droïde pour signaler le vol mais, à
l'idée de décrire les objets en question, j'abandonnai. Le groupe
d'agités de tout à l'heure avait peut-être aussi constaté des
disparitions ; est-ce qu'"ils" avaient pris des objets
à chacun d'entre nous ? Une collection ? Un test ? Re-merde !
Je
repartis, un peu groggy, suivi par l'auto-grav, vers les labos et mes
quartiers, dans les coursives toujours désertes.
Le
bracelet m'amena gentiment jusqu'au niveau Habitation, au-dessus des
labos. L'habitat était spacieux, presque trop pour moi, avec deux
vraies pièces, des modules cuisine et sanitaire séparés, des
murs-écrans et une grosse quantité de proto-meubles bosselant les
parois et le sol. Je configurai un fauteuil puis appelai le réseau.
Traverser le vaisseau de babord à tribord jusqu'au bloc-recherche
m'avait pris pas mal de temps ; peut-être Sophie était-elle
déjà installée ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire