Chère
Libellule,
Je t'imagine dans ton jardin
aux arbres de métal inoxydable. Sais-tu que je n'arrive même plus à
me souvenir des arbres... en bois, si j'ose dire... qui existaient
autrefois ? C'est tellement loin. De nombreux souvenirs sont
enfermés dans mon inconscient et ressurgissent inopinément comme
les braises d'un feu que l'on croyait éteint.
Voilà
! malgré ces préliminaires un peu longuets, je vais te faire une
annonce qui - je le sais -va te sembler brutale : JE PARS, et tu
sais où...
Par
quel cheminement en suis-je arrivée à cette décision ? me dis-tu
(si ma perception est exacte) car je reçois ton message au moyen de
la transmission de pensée qui est, certes, un moyen de communication
assez courant de nos jours, bien qu'imparfait cependant.
Cela
te semble irrationnel ? Tu n'as pourtant cessé de me répéter
que l'humanité manquait cruellement de génie et d'audace. Nous
vivons de manière monotone, sans enthousiasme, ni désir. Bref, nous
vivons au ras des pâquerettes... si l'on peut employer cette
expression devenue désuète par suite de l'extinction de toute
végétation sur notre planète Terre.
C'était
quoi une pâquerette ? Je ne sais pas vraiment... C'était une
chose vivante qu'on appelait "fleur ", nous disait notre
"professeure des écoles", à l'époque où l'école
existait encore et dont nous étions les derniers survivants d'un
système scolaire passé depuis aux oubliettes... En vérité, que
pourraient apprendre nos chers bambins à l'heure où une grande
partie de la civilisation a disparu de notre planète ? Que
pourrait-on leur enseigner, à part de vagues souvenirs
fantasmatiques que l'on intitulerait pompeusement : de
l'histoire ancienne ?
Alors,
je pars... Je l'espère du moins - avec le " cercle des
étincelles de vie". Tu sais, ce grand rassemblement de terriens
qui quittent la planète Terre le mois prochain dans le vaisseau
spatial N 40 QB 24.
Ce
sera une sorte d'arche de Noé, si tu veux, sans les animaux, qui ont
disparu de la Terre mais que nous espérons reconstituer ailleurs
avec nos ordinateurs animanus vegetaris.
Nous reconstruirons, non pas
LE monde, mais UN monde, et je désire aider ceux de mes amis qui
veulent se servir de leur cerveau et non uniquement des machines,
même si, Dieu merci, nous en possédons encore quelques-unes
capables de performances intéressantes.
Françoise
a retrouvé, dans une cabane en ruine au fond du jardin de sa tante,
des sortes de graine momifiées et Gérard, qui a autrefois obtenu un
diplôme d'agriculture, est très optimiste à leur sujet. Nous
espérons avoir des végétaux là- bas. En ce qui me concerne, et tu
me l'as bien souvent reproché, j'aime réfléchir, créer, et je
crois que ces capacités seront bien utiles pour élaborer le nouveau
monde dont nous rêvons.
Je
t'imagine écrasée par la chaleur, agitant tes mandibules en écho
au cliquetis de tes arbres métalliques... et complètement
désorientée par ma décision ; je te comprends, mais tu
devrais venir également. Tes anciens talents de cuisinière seraient
très appréciés là-bas quand nous aurons à nouveau de quoi nous
nourrir décemment.
Moi
j'en ai assez de la nourriture numérique... J'en ai plus qu'assez de
devoir allumer mon ordinateur pour avoir ma dose journalière de ce
que, envers et contre tout, on appelle encore de la soupe... de la
soupe de quoi, grand Dieu ?
J'ai
envie d'avoir enfin une alimentation vivante et je veux aider nos
amis à la retrouver. Ce désir appartient peut être à la logique
d'un autre temps ; et alors ?
Bon...
je rêve peut-être car la liste des partants n'a pas encore été
arrêtée et, même si j'ai bon espoir, je ne sais pas encore si ce
message sera le dernier que tu recevras de moi.
Si
c'est le cas, adieu donc.
Sinon,
à bientôt.
Mosaïne
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